Un pont entre les perspectives locales et globales

Authors

  • Patrick O. Waeber
  • Lucienne Wilmé

DOI:

https://doi.org/10.4314/23

Abstract

Antananarivo n’est pas Madagascar, Madagascar n’est pas l’Afrique, l’Afrique n’est pas le Monde … autant de formes qui traduisent la dualité entre local et global. Lorsqu’on imagine un domaine aux règles globales, la science et ses publications sont vraisemblablement classées en tête de liste sachant cependant que les découvertes sont bien plus souvent locales mais destinées à s’intégrer dans une dimension globale. Dans ce numéro, Noromampiandra-Razafindrakoto et ses collaborateurs ont réalisé une étude sur les chauves - souris trouvant dortoir dans les bâtiments publics de Moramanga; ceci en plaçant l’étude dans un cadre global de maladies émergeantes qui sont appréhendées dans de nombreuses revues scientifiques internationales.
Alors que le volume de publications augmente, que les articles sont plus accessibles, notamment grâce à Internet, nombreux sont ceux que j’ai entendu regretter les trésors enfouis dans ce que nous désignons sous le terme de ‘littérature grise’ ou ces imposants volumes de rapports et études non publiés. Nous reconnaissons qu’il y a ainsi des trésors à dévoiler, mais en ne suivant pas les règles globales de la publication scientifique, les éléments pertinents se perdent dans de longs rapports non indexés et auxquels il est difficile de se référer car ils ne sont pas disponibles. Comme tous les Hommes, les scientifiques font des erreurs mais ils invitent aux critiques qui contribuent à la découverte des erreurs et leur correction. Au lendemain de Cancún, réunion globale s’il en est et sur un thème éminemment global, rappelons nous que les scientifiques indiens avaient rejeté des conclusions du groupe intergouvernemental sur l’évaluation du climat (Intergovernmental Panel on Climate Change - IPCC) sur la fonte des glaciers de l’Himalaya. Il s’est avéré que les extrapolations portant sur ces glaciers provenaient d’un rapport non publié, qui n’avait donc pas été soumis à un comité de lecture avec ses spécialistes ni donné lieu à une publication. De telles erreurs auraient cependant pu être publiées mais en tant que telles, elles auraient eu bien plus de chance d’être corrigées rapidement selon un processus qui a fait ses preuves. Les scientifiques indiens ont finalement identifier la source d’erreurs (Bagla 2009) mais l’affaire est maintenant citée pour démontrer la dérive dans l’utilisation de matériel insuffisamment évalué (Cogley et al. 2010). N’oublions pas qu’un comité de lecture a le plus souvent la capacité de redresser des erreurs avant publication et que lorsqu’une erreur est publiée, il peut publier une correction rapidement de sorte que les articles suivant peuvent se référer à la version corrigée.
Dans ce numéro de Madagascar Conservation & Development, Thomas Wesener et Kai Schutte, spécialistes des myriapodes, se réfèrent à des mille - pattes indiens mais décrivent le comportement d’un mille - pattes endémique de Madagascar, le plus grand du monde dans sa catégorie, qu’ils ont observé dans la forêt d’Andasibe. Les autres contributions de ce numéro présentent, elles aussi, les résultats de travaux menés localement mais toujours dans un contexte global et surtout selon un processus global et éprouvé, avec les études de Blanchard Randrianambinina dans les forêts sèches du nord-ouest ou les études de l’équipe de Gurutzeta Guillera - Arroita portant sur le lac Alaotra. Dans le Spotlights de ce numéro, Jörg Ganzhorn sort du débat ressassé pour inviter à une mure réflexion destinée à réconcilier et réaliser simultanément la protection pérenne de la nature et le développement durables. Depuis près de 30 ans, Jörg est l’un des ambassadeurs des richesses malgaches et nous espérons avec lui que jamais la grande île ne sera banalisée. Nous avons tous assisté à une vague de descriptions d’espèces nouvelles qui ont valu de nombreuses publications aux scientifiques du monde entier et l’enrichissement des collections d’histoire naturelle, mais même si l’effort doit se poursuivre pour de nombreux groupes, la protection de la nature va devoir surfer sur cette vague pour intégrer le déve-loppement. Les sciences humaines sont encore trop discrètes à Madagascar et la parole est donnée dans ce numéro à plusieurs spécialistes des sciences humaines dans l’interview portant sur 'Social science and conservation in Madagascar'.
Dans le seul article en français de ce numéro Jérôme Ballet et ses co - auteurs analysent les aspects économiques de l’exportation de bois précieux « illégaux » de 2009, en se basant partiellement sur un article publié dans le dernier journal de Madagascar Conservation & Development par Hery Randriamalala et Zhou Liu (2010). Cet article qui montra la relation entre l’exportation des bois précieux et les événements politiques a provoqué un phénomène inédit sur le site du journal. Jamais encore un article n’avait connu autant de téléchargements et nous avons demandé à ses auteurs comment ils expliquaient une telle popularité. Hery Randriamalala nous assure que le nombre de téléchargements est expliqué par l’intérêt accordé par les lecteurs de Madagascar à ce dossier portant sur les bois précieux pendant cette période caractérisée par une instabilité politique. Les ébènes et bois de rose continuent d’être exploités à grande échelle dans les parcs et réserves de Madagascar mais compte tenu du moratoire adopté par les autorités, les stocks de bois continuent à croître. Il est intéressant de noter un changement d’attitude des institutions et autorités locales, avec des contrôles plus rigoureux sur le transport et dans les ports. Sur le plan international, Hery Randriamalala note le revirement de la France à l’égard de la Haute Autorité de Transition. À l’occasion de son discours du 14 juillet, l’Ambassadeur de France a pris ses distances avec ce régime et l’a exorté à juguler le trafic en cours dans ses forêts.
Nous tenons enfin à rappeler le travail remarquable réalisé par les professionnels de la presse de Madagascar pour analyser, documenter et publier sur ce trafic. Le bois de rose est devenu la figure emblématique d’un phénomène qui dépasse largement l’exploitation d’une ressource forestière et nous saluons ici un éditorialiste d’un journal de la place qui vient de citer localement un phénomène global : Les aléas ont poussé les uns et les autres à privilégier les profits à court terme au détriment des projets plus durables, et la recherche de profits sur le bois de rose a pris la place de la culture de vanille dans la région Sava (A. 2010).

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Published

15-12-2010

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Section

Editorial