Elles ne sont pas tombées de la dernière pluie!

Authors

  • Lucienne Wilmé

DOI:

https://doi.org/10.4314/232

Keywords:

Humbert 1965, terrain, field work, Marojejy

Abstract

Lors d’une conversation avec Chris Birkinshaw, nous nous sommes aperçus que malgré l’accumulation d’expériences, nous revenions régulièrement vers une de nos lectures classiques: Humbert 1965 et sa description des types de végétation de Madagascar. À chacune de nos relectures, nous redécouvrions des aspects que nous avions alors survolés ou qui ne prenaient formes qu’avec nos nouvelles visions de la biodiversité malgache. Nombreux auront été ceux à défaire le schéma du Professeur, à tenter de l’adapter à divers groupes d’animaux et de plantes et même à proposer de nouveaux schémas mais maintes fois ont avoué que Humbert reste indémodable, le classique qui reste tellement moderne. Car Humbert a bâti son ouvrage sur une extraordinaire expérience de terrain, et lorsque le Professeur nous parle des forêts de Madagascar, il fait parler les forêts car il les aura écouté et cette expérience accumulée ur les montagnes de Madagascar est irremplaçable et n’aurait su se contenter de travaux de laboratoire. Réduire les forêts de Madagascar aux quelques catégories retenues par les uns et les autres sur la base des espèces qu’elles abritent, des caractéristiques climatiques, géologiques et autres pour les modéliser minutieusement avec des pixels informatisés sont autant d’outils basés sur d’importants travaux et qui sont destinés à mieux comprendre les milieux naturels de Madagascar dans le dessein de les protéger. L’accumulation des informations obtenues au cours des dernières années sur l’histoire naturelle de Madagascar requiert des outils de plus en plus sophistiqués car nous en savons encore bien trop peu, mais ce n’est pas pour cette raison que les écrits du Professeur ont pu rester d’actualité. Il est au moins une chose qui n’a guère changé depuis plus d’un demi siècle: les explorations sur le terrain, les anciennes ‘tournées’ sont juste devenues les nouvelles ‘expéditions’. À quelques gadgets près, comme le GPS qui a remplacé la boussole, l’équipement de base est le même et nos destinations sont restées sylvestres. Et surtout, nous faisons appel aux interprètes. Les interprètes sont ces villageois qui ont grandi à côté des forêts, qui n’ont pas de formation scientifique, mais une connaissance fine du milieu forestier, qui comprennent les signes, en résumé les écologistes de la région. Dans le Marojejy par exemple, ces écologistes nous intègrent généralement dans leur village, font appel à la bienveillance de nos ancêtres afin qu’ils nous protègent avant de nous guider à travers les montagnes. Et le professeur a découvert cette montagne avec Tsibohina comme l’avait fait le capitaine Aragon avant lui en 1937. Quelques 50 ans après, je découvrais le Marojejy avec Jolaza, Erik Patel est redevable à Rabary Desire et Nestor Jean Randrianasy ... et ces écologistes nous ont appris à nous émerveiller dans les forêts qui sont les leurs et celles de leurs ancêtres et qui auront valu cette superbe phrase du Professeur en page 7 de son ouvrage de 1955 sur le Marojejy: « le massif le plus prestigieux de l’île entière à la fois par son aspect grandiose, par sa richesse floristique et, surtout, par son caractère de nature inviolée sur la presque totalité de son étendue et sur le plus grande partie des avant - monts, c’est le Marojejy! » Il n’est de forêt à Madagascar qui ressemble à une autre.Elles sont plus ou moins différentes, se ressemblent parfois mais ne sont jamais identiques. Vous espérez devenir plus intimes avec elles après quelques années, mais la réalité s’impose rapidement d’elle-même: les forêts de Madagascar ne sont pas tombées de la dernière pluie et se sont remises de plus d’un cyclone. Elles sont vieilles, très vieilles et il nous faut regarder dans les temps anciens, les temps géologiques, bien avant l’arrivée des hommes sur Madagascar, pour tenter de leur arracher quelques uns de leurs secrets. Humbert est resté moderne car il a fait bien plus qu’étudier la forêt de Madagascar, il l’a écoutée. Rien ne remplacera jamais le terrain, et si l’avenir de la Science à Madagascar passe certainement par Internet et l’emploi d’outils de plus en plus sophistiqués, les forêts de Madagascar ne pourront être sauvées que si nous sommes nombreux à les adopter et les écouter. Les premiers ambassadeurs de ces forêts sont les Tsibohina et les riverains de toutes les forêts de Madagascar, et les jeunes étudiants et les chercheurs de Madagascar l’ont ien compris car ils les remercient sincèrement dans les publications de leurs travaux. Nous avons tous une dette envers ces guides, assistants de terrain, ces écologistes riverains et ce journal peut prendre le relais pour être le porte parole des forêts de Madagascar, mais ne blâmons ni les bûcherons ni les forces de la nature, essayons de comprendre et d’écouter pour
trouver la meilleure solution. Depuis plus de cent ans, il y a urgence à sauver la forêt de Madagascar. Le fourré épineux du sud n’est plus que peau de chagrin, les forêts sèches de l’ouest avec ses gigantesques baobabs sont menacées comme elles ne l’ont jamais été et reculent tous les ans devant les flammes. Quelques forêts sèches mais aussi de belles forêts humides reculent depuis quelques années devant un phénomène qui a pris de l’ampleur: l’exploitation des ressources minières. Mais qui blâmerait un pays de mettre sa forêt sur le billot pour lutter contre la pauvreté de ses habitants? Les alternatives ne tombent pas forcément sous le sens mais les sacrifices devront être dûment pesés même si la forêt de Madagascar est inestimable; elle se meure en bien des endroits mais puisse-t-elle devenir la meilleure alliée des générations futures, que les Malgaches ne fassent pas les erreurs des pays développés en sacrifiant ses richesses naturelles mais qu’ils écoutent leurs ambassadeurs qui ont ouvert leurs sens à sa vieille alliée: la forêt !

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Published

22-12-2007

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